“Didi”, le taxi, c’est sa vie…

Adrien Vayssière, truculence et bons mots. Dans son armoire aux souvenirs, trente-cinq ans de taxi parisien.

Nicolas Boursier

Le7.info

Ses premiers élans suintent la méfiance. L’homme se ferme. S’arcboute sur ses réticences. Prétexte que la mémoire lui fait défaut. Que sa vie n’a rien d’exceptionnel. Il faut le tarauder. Le questionner. Jusqu’à le gêner de ne rien dire. En temps ordinaires, dans le cercle de ses copains retraités, Adrien est un fort-en-mots. Intarissable quand le passé bat le rappel du souvenir et de l’anecdote. A force de persévérance, l’intrusion fend la carcasse.

Au coin du zinc, Adrien lâche enfin des bribes. “Quand j’ai débuté, on était 12 000, ils sont 18 000 aujourd’hui.” Ces débuts-là remontent à l’âge de pierre. A 1955. Un temps “où les Halles étaient encore dans Paris”, “où les horodateurs trônaient sur les carrosseries des autos”, “où Rivoli était infréquentable tellement y’avait de poids lourds.”


“Nougaro, c’était le top”

En 1955, Adrien a 24 ans, l’âge de la démerde. Celui du grand saut. “Si j’avais suivi les pas de mes parents, tous d’origine aveyronnaise, j’aurais fini bougnat. J’ai choisi un autre chemin.” C’est dans la rue qu’il ira au charbon. De l’école des taxis de l’avenue Wagram, il ressort avec le certificat professionnel. Trois ans plus tard, à l’été 1958, il achète sa propre licence. Sa voie est tracée. Elle suivra une courbe rectiligne. “J’ai vécu une carrière sans soubresauts, sans accident. J’ai vraiment aimé ce que j’ai fait.

Les malaises du départ s’estompent sous le jeu des réminiscences. “Des personnalités ? Ah ça, oui, j’en ai trimbalé quelques-unes.” Signoret. Montant. Belmondo. Gainsbourg. “Je le prenais avenue Montaigne. C’était à l’époque de la victoire à l’Eurovision de « Poupée de cire, poupée de son ». C’était un chic type.” Adrien ne veut pas aller plus loin dans le commentaire. “Ouais, moi, je l’aimais bien” Tout comme Nougaro, “chargé” plusieurs fois dans le 18e. “Oh là, lui, c’était le top. Toujours un mot sympa.”

 

“Je la dépose, elle me dit : « c’est 100 francs »

Mince, toujours rien de croustillant, Adrien ! “Ah si, y’a l’autre, comment il s’appelle déjà ? Plastique quelque chose.” Plastic Bertrand, Adrien, Plastic Bertrand. Et alors ? “Eh ben un jour, je m’apprête à le prendre devant un petit hôtel vers le George V. D’un seul coup, une jeune admiratrice lui saute dessus. Il lui propose de monter et de l’emmener où elle veut. Je les dépose tous les deux Gare du Nord. Et v’la t’y pas que lui se barre. C’est elle qui a dû payer.” Tiens donc, ça planait déjà pour le Belge platine ! Ça, y est. Il est lâché le “Didi” ! On aurait maintenant peine à l’arrêter. Le compteur tourne. La note va être salée. “Tiens, une belle qui m’est arrivée. Un matin, je prends à mon bord une nana, mais une super nana, le canon. Je l’emmène vers Montparnasse. Je suis à peine arrêté qu’elle me balance : « C’est 100 francs »” Rires.

Ses copains n’avaient donc pas menti. Il est savoureux, le gaillard ! Savoureux et attachant. Vingt ans après avoir remisé sa casaque au placard et choisi la Vienne pour terre d’asile, Adrien aime à exhumer les belles heures de son passé francilien. Des heures teintées de liberté et d‘indépendance. Les raconter, c’est cautériser les blessures. Les raconter, c’est vivre. Alors raconte, “Didi”, raconte encore !

 

À lire aussi ...