Les cochons de la reconversion

Psychologue clinicienne au CHU de Poitiers pendant près de huit ans, Julie Jamain a opéré un virage à 360° en 2019 en s’installant comme éleveuse de porcs en plein air.

Claire Brugier

Le7.info

Elle ne regrette rien. Non pas qu’elle n’ait pas apprécié sa première vie professionnelle de psychologue clinicienne, mais quand l’appel du grand air a été trop fort, Julie Jamain a troqué sa blouse blanche contre des bottes en caoutchouc. Elle est devenue éleveuse de porcs, en plein air cela va de soi, sous l’enseigne La Cochonnerie de Julie, à Liniers, près de Chauvigny. 
« Je crois qu’en devenant maman, je me suis autorisée à me dire que je voulais faire autre chose, que j’avais plus d’ambitions, que j’avais envie de travailler pour moi. » Passionnée depuis toute petite par les animaux, la jeune femme aujourd’hui âgée de 36 ans a grandi avec des chevaux. Mais elle avait des facilités scolaires, les portes de l’enseignement supérieur lui étaient ouvertes et, poussée par ses parents, elle a décroché un master 2 en psychologie. Puis, après quelques petites missions ici et là, elle a vu cette annonce du CHU de Poitiers pour un CDI de psychologue clinicienne. Elle n’a pas hésité et y est restée près de huit ans. « J’étais dans le service PMA et diagnostic anténatal. Je recevais les patients mais aussi des collègues au bord du burn-out… » Elle se souvient avoir dû accueillir des patients alors qu’elle-même était enceinte. 
« C’était compliqué, glisse-t-elle. Et puis je vivais de plus en plus mal d’être enfermée toute la journée. Quitter l’hôpital pour faire autre chose, mais quoi ? »

Au contact de la nature

Julie a pris le temps d’un bilan de compétences, financé par le CHU. « Il en est ressorti qu’il me fallait une activité dans laquelle je serais autonome, je gèrerais mon temps, je travaillerais au contact de la nature… » Une fois encore une petite annonce a tout fait basculer : une ferme porcine était en vente dans le Sud-Vienne. « C’était trop loin pour moi, j’avais toute ma famille dans le secteur, mais c’était une femme qui tenait l’élevage, je me suis identifiée à elle. » Pendant deux ans, jusqu’en 2019, Julie a mené une double activité. Elle ne s’en cache pas : si elle a choisi les porcs, c’est parce que leur élevage est moins onéreux. Et aussi parce qu’« à la naissance de mon premier enfant, on m’a offert un jeune cochon. J’avais donc déjà eu un contact avec cet animal qui se comporte comme un chien ». Rosette a ouvert la voie à ses congénères dans le cœur de l’éleveuse qui a d’abord tâtonné, notamment pour les inséminations, pour éviter les écrasements… « Aujourd’hui, j’ai six femelles reproductrices et environ quatre-vingts porcelets par an. » Julie fait tout de A à Z, de l’insémination au trajet jusqu’à l’abattoir de Confolens en passant par la gestion du fichier clients, la comptabilité... Mais elle veille à ne pas se laisser dépasser. « Je m’octroie du temps avec mes enfant de 7 et 9 ans, je peux les emmener à l’école et aller les récupérer. Je ne veux pas être esclave de mon élevage. Avec ce projet, je suis allée vers mon épanouissement personnel. J’ai le contact avec les animaux et la clientèle, j’ai vraiment une autre qualité de vie. »

 

COULISSES
Un défi financier

Julie Jamain avait imaginé bénéficier d’une rupture conventionnelle mais elle a dû démissionner de son poste de psychologue au CHU. Sans diplôme agricole, elle n’a pas non plus pu prétendre aux aides à l’installation. Elle estime à 5 000€ son capital de départ (clôtures, cabanons en tôle…). En 2021-2022, elle a fait construire le bâtiment qui abrite aujourd’hui la boutique de vente directe. Prochaine étape : un second pour  compléter le « pôle élevage ».
De l’huile de coude
« Lorsque l’on se lance dans l’entrepreneuriat, l’enjeu n’est pas le même. Il y a certaines nuits où l’on dort moins bien. Pendant la période d’installation, je travaillais la semaine et je montais les clôtures et les cabanons les week-ends, en sacrifiant aussi certaines soirées en semaine. »
Un nom
L’éleveuse a choisi sciemment un nom qui marque les esprits :  La Cochonnerie de Julie. « J’ai joué sur l’image, ce qui me vaut parfois des blagues pas drôles mais je recadre vite. » Quant à sa communication, elle se fait exclusivement sur les réseaux sociaux, Facebook, Instagram, TikTok qu’elle alimente de photos et vidéos. « Il a fallu un peu de temps pour être crédible », constate Julie qui n’avait  semble-t-il pas le physique de l’emploi.
Presque un projet de territoire
Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin, dit l’adage.  « J’ai été bien entourée, par des personnes intriguées par mon idée », confie Julie, qui s’appuie sur un véritable réseau de producteurs et d’artisans locaux. N’ayant pas suffisamment de terres pour produire elle-même la nourriture pour ses porcs, elle achète des granulés sans OGM mais peut aussi compter sur la drêche (résidu d’orge) de la brasserie La Linaroise, sur les invendus des maraîchers du secteur et sur des dons des habitants. Elle soustraite au boucher de BonneuilMatours et à la Conserverie du Moulin, à Usseau, la partie transformation (terrines et plats cuisinés). Sa boutique de vente directe propose aussi des produits de ses voisins. Elle la tient trois samedis par mois et confie le quatrième à une productrice de veau voisine. 

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