Au Singulier pluriel

Octave Singulier, 54 ans. Permanent du paysage culturel poitevin, intermittent médiatique par choix. Le patron du cirque éponyme promeut des valeurs entrepreneuriales dans un milieu réputé bohème. Etonnant et attachant.

Arnault Varanne

Le7.info

Xynthia a balayé vingt-cinq années(*) de labeur en quelques heures. Foutue tempête hivernale. Sur le campus poitevin, les piaules universitaires ont résisté à l’outrage, pas les chapiteaux du cirque Octave Singulier. Les dégâts s’élèveraient à plusieurs centaines de milliers d’euros, laissant 450 élèves à la rue et l’équipe de permanents dans le désarroi. Sinistre. Mais ce serait mal connaître Octave Singulier que d’imaginer que ce coup de tabac puisse sonner le glas de ses ambitions. Quelques jours avant ce souffle ravageur, le chef d’entreprise confiait que “l’accomplissement était la pire des choses”. Le voilà conforté dans ses certitudes. Il va devoir reconstruire. C’est sûr, il va rebondir.

Ce fils d’artisan ébéniste du Limousin vit de toutes les manières sous le règne de “la culture de la tâche bien accomplie”. Et baigne depuis tellement de temps dans la famille du cirque qu’on l’imagine mal rester en cale sèche... Cette “grande famille” où le collectif prime sur l’individu, le Poitevin d’adoption a tôt fait de s’y sentir à son aise. “Sans eux, je ne serais pas grand-chose”, admet-il, sincère, à propos des huit permanents et 65 artistes fidèles à sa conception différenciée de l’art du cirque. Bien sûr, Octave s’est émerveillé devant les spectacles de ses artistes d’oncles.


L’humanité comme étendard

L’un catcheur dans les baraques foraines, l’autre musicien dans les bals montés de la Haute-Vienne. “J’étais ailleurs, dans un autre univers…” Mais Octave a toujours su qu’au-delà des paillettes, son art nécessitait une sacrée dose de travail et d’humilité. Alors, il a bossé encore et encore son numéro de danseur de corde, une tradition moyenâgeuse aujourd’hui disparue. Et après ? “Un jour, j’ai su que c’était terminé… J’ai fait le deuil de ma vie d’artiste, je suis passé à autre chose.” Avec une étonnante franchise, il avoue tout de go : “Le cirque ne sert à rien, mais est indispensable.”

Dans un monde chamboulé par la technologie, on ne s’extasie plus guère que pour les numéros de jongleurs, voltigeurs et autres funambules. Du minot au senior, de la ménagère au cadre sup’, impossible de ne pas succomber au charme désuet du cirque, à ses codes et à son ambiance si particulière. Chez Octave Singulier, l’humanité sert d’étendard à tous les artistes. Il faut certes se placer dans une logique de performance, mais le job ne s’arrête pas là. Ici, les amuseurs publics doivent jouer sur le registre de l’émotionnel. Faire en sorte que l’instantané dure toujours.
Que le spectateur se mue en quasi-acteur. “S’il y avait, dans le cirque, une forme d’accomplissement, ce serait celle-là.” En perfectionniste-né, Octave Singulier remet toujours au lendemain cette communion ultime avec son public. Pas étonnant pour quelqu’un dont “l’horizon est infini” ou, à défaut, va bien au-delà de l’âge légal de départ à la retraite.


Sportif de haut niveau

Pour durer, et même s’il ne joue plus les acrobates, ce père de trois ados s’impose une hygiène de vie stricte : pas d’alcool, ni même de cigarette. “Comme un sportif de haut niveau…”, rappelle-t-il à l’envi. Quiconque dérogerait à “ses règles” s’exclurait de lui-même du cirque Octave Singulier. Le patron ne plaisante pas. Et endosse volontiers le rôle du père fouettard dans l’intérêt supérieur de sa noble entreprise. “Le cirque, c’est sérieux, nos choix sont réfléchis car il en va de notre crédibilité.” De ce côté-là, Octave Singulier peut s’estimer serein.

De l’extérieur, sa petite-entreprise-qui-neconnaît- pas- la-crise jouit d’une réputation flatteuse dont peu de cirques peuvent se targuer. Reste à pérenniser la structure, l’âme-même de cette singulière maison. La logique voudrait que ses enfants perpétuent la tradition, comme chez Gruss, Pinder, Zavatta... Il prend illico le contre-pied. “Je ne veux surtout rien leur imposer. Qu’ils vivent leur vie d’ados. Après… Le cirque, c’est avant tout une histoire de compétences.” Fin du spectacle.

(*) Le cirque Octave Singulier fêtera ses 25 ans en décembre prochain avec une quinzaine de représentations au programme.
 

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